LES GRANDS DOSSIERS: Pour une Côte d’Ivoire de tous ses enfants, loin des manœuvres d’exclusion
Pour une Côte d’Ivoire de tous ses enfants, loin des manœuvres d’exclusion
L’histoire politique de la Côte d’Ivoire est jalonnée de décisions judiciaires dont certaines ont marqué à jamais le destin du pays. Parmi elles, l’arrêt rendu par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême en 2000 a été l’un des plus controversés. Il convient ici de préciser une chose essentielle : Mr Tia Koné, en revenant sur cette décision, ne remet nullement en question les enquêtes qui ont conduit la Cour suprême à statuer comme elle l’a fait. Ce qu’il interroge, avec le recul du temps et l’éclairage de l’histoire, ce sont les textes en vigueur à l’époque, qui ont contraint la justice à prendre une décision dans un contexte de crise aiguë, où il fallait impérativement trouver une porte de sortie.
Or, ces textes n’étaient pas tombés du ciel. Ils avaient été votés par l’opposition à Henri Konan Bédié, dans un climat de tensions politiques extrêmes, après le coup d’État militaire de 1999, un putsch qui fut salué par ces mêmes opposants, dont M. Alassane Ouattara lui-même. Ironie du sort, ceux qui dénonçaient hier des lois injustes sont les mêmes qui en ont profité et qui les ont utilisées comme armes d’exclusion.
Une rétrospective douloureuse, mais nécessaire
Lorsque Mr Tia Koné prend la parole une seconde fois, Alassane Ouattara est désormais Président de la République, après une guerre civile qui a officiellement fait 3 000 morts et officieusement dix fois plus. Le sang des Ivoiriens a coulé. Pour quoi ? Pour une nationalité ? Pour un texte perfide ? Pour une manipulation politicienne ?
Loin d’être une autocritique tardive, cette déclaration doit être comprise comme une mise en garde contre la répétition des erreurs du passé. L’histoire a montré que les décisions d’hier, prises sous la pression et les jeux de pouvoir, peuvent plonger un pays dans le chaos le plus total.
Briser le cycle de l’exclusion
Aujourd’hui, la question essentielle n’est plus de savoir qui était Ivoirien d’origine ou pas en 2000, mais comment éviter que la Côte d’Ivoire ne retombe dans les pièges des exclusions arbitraires, dictées par les intérêts d’un parti ou d’un groupe d’individus.
Nous devons créer les conditions pour que tous les fils et filles dignes de ce pays puissent concourir à sa direction, s’ils en ont la compétence et la volonté, loin des manœuvres du parti au pouvoir qui cherche à éliminer ses adversaires par des subterfuges juridiques et non par le verdict des urnes.
Nous voulons une Côte d’Ivoire ouverte à ses Thiam, à ses talents, à ses fils et filles éparpillés dans le monde, qui ne demandent qu’à contribuer à arracher ce pays des griffes du sous-développement, au lieu de le voir confisqué par une minorité kleptomane et violente, occupée à brûler la nation pour entretenir de petites ambitions, de petits règnes et de petits plaisirs.
L’heure de la rupture
L’heure n’est plus à la conservation des privilèges d’un clan ni à la fabrication de barrières artificielles destinées à écarter ceux qui pourraient réellement transformer le pays. Il est temps de sortir de ce cercle vicieux où la manipulation des lois devient une arme pour tuer la démocratie.
Car ce qui a été fait hier peut être refait demain. Aujourd’hui, c’est l’opposition qui se plaint, demain, ce sera peut-être un autre clan. Jusqu’à quand allons-nous bâtir une Côte d’Ivoire sur l’exclusion et l’arbitraire ?
Les Ivoiriens doivent refuser ce système où la loi devient un instrument de vengeance politique.
La Côte d’Ivoire a déjà payé un prix trop lourd pour ces calculs politiciens. À quand un pays où les élections seront le terrain du débat d’idées et non un champ de bataille meurtrier ?
Il nous faut un nouveau paradigme.
Un paradigme où les compétences l’emportent sur l’appartenance ethnique, où le mérite remplace l’exclusion, où la Côte d’Ivoire ouvre enfin ses bras à tous ses enfants au lieu de se refermer sur un petit groupe de privilégiés prêts à sacrifier la nation pour leurs intérêts.
L’histoire nous regarde. Le peuple observe. L’heure des faux-semblants est révolue.
L’avenir de la Côte d’Ivoire ne peut être confisqué par une caste. Il appartient à tous les Ivoiriens.

JACQUES ROGER
LECONSERVATEUR
TIA KONÉ 2.0
Arrêt numéro E-001-2000 rendu par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de Côte d’Ivoire en son audience du 6 octobre 2000 que je présidais.
J’ai décidé de revenir en effet sur cet arrêt dans le simple souci de lever tous les malentendus que la décision n’a pas manqué en son temps, et même aujourd’hui encore, de susciter dans le pays.
Et pour cela, il est important de se placer dans le contexte de la crise économique rampante de l’époque, dont les solutions idoines tâchaient d’avenir de l’intérieur, au point que tous les espoirs étaient tendus vers l’extérieur, d’où pouvait nous provenir un fils prodigue plein de sciences et de connaissances pour abréger nos souffrances.
Il n’était point question dans cette pathétique attente de rejeter ipso facto de nous rendre fils du pays un ancien Directeur général adjoint du FMI, pouvant de toute évidence être cet artisan du requin de notre dignité et de notre grandeur nationale en perdition.
À cet effet, j’affirme qu’il n’a jamais été dit dans l’arrêt du 6 octobre 2000, et je le dis aujourd’hui solennellement, que M. Alassane Ouattara n’est pas ivoirien. Personne ne l’a dit.
Cet arrêt, à notre grand regret, nous le savons, a causé un tort certain aux concernés, à sa famille et bien d’autres Ivoiriens.
Je voudrais ici solennellement m’en excuser pour tout le désagrément que cela a pu poser durant toute cette période à ce jour.
Aujourd’hui, la preuve est faite, en effet, que le Président de la République est un Ivoirien qui a un profond amour pour sa patrie et qui engage en ce moment même notre pays sur de nombreux chantiers de développement en vue de faire de la Côte d’Ivoire une nation de paix et de prospérité.
Aussi, voudrais-je porter à la connaissance de mes collègues ce qui me précède et recommander fermement que l’honorabilité du Président de la République soit rétablie au plan judiciaire.
Je me tiens, je le réclame ici, je le proclame solennellement à la disposition de la nation entière pour y contribuer.
…
Citoyens français, ou à tout le moins, pour certains, des sujets français, finalement, à l’analyse exhaustive du dossier, nous avons relevé qu’aucun des candidats n’était né Ivoirien d’origine, encore moins de pères et de mères eux-mêmes Ivoiriens d’origine.
Nous avons dû, mesdames, messieurs, à défaut de pouvoir agir autrement, procéder par raisonnement égyptique, c’est-à-dire par transposition du présent au passé, pour réussir à faire admettre que ceux qui habitaient sur le pain des terres, anciennement françaises et devenues par la suite République souveraine de Côte d’Ivoire, étaient déjà des Ivoiriens, ce qui, de jure ni de fait, ne l’était nullement.
Mais si ce concept est absurde, il est tout aussi unique. Parce qu’il comporte les germes d’une répartition inadmissible des Ivoiriens en plusieurs catégories, contrairement au corps de la nationalité qui, lui, se contente du simple minimum :
- Que l’un des deux parents soit Ivoirien,
- Et cela en ces termes :
Est Ivoirien :
- L’enfant légitime ou légitimé né en Côte d’Ivoire, sauf si ses deux parents sont étrangers,
- Ou l’enfant né hors mariage en Côte d’Ivoire, sauf si sa filiation est légalement établie à l’égard de ses deux parents étrangers ou d’un seul parent également étranger,
- Ou l’enfant légitime ou légitimé né à l’étranger d’un parent Ivoirien,
- Ou encore l’enfant né hors mariage à l’étranger dont la filiation est légalement établie à l’égard d’un parent Ivoirien.
Article 6 et 7, jubilé du corps de la nationalité.
Fin de citation.
D’où vient alors que l’on crée de toutes pièces une catégorie ultra privilégiée d’Ivoirien qui aurait seul désormais le droit d’être candidat à l’élection présidentielle, c’est-à-dire l’enfant né Ivoirien d’origine, de pères et de mères eux-mêmes Ivoiriens d’origine ?
Ce concept comporte donc en son sein les germes d’une pernicieuse opposition des populations, susceptible de ruiner l’équilibre et l’harmonie nationale, dont l’admission n’a été rendue possible, à mon sens, que par le jeu des manipulations politiciennes à des fins inavouées.
Car comment comprendre qu’à l’ère où les Ivoiriens voient leurs enfants parcourir le monde à la recherche du savoir-faire, éminemment important pour le pays, d’où ils ramènent des âmes sœurs et des enfants subséquents, acceptent de s’enfermer sur eux-mêmes dans une tour d’égoïsme par le jeu d’un rejet systématique de leur propre progéniture ?
N’est-il pas une constance humaine que d’admettre que chacun de nous projette dans son propre miroir qu’est son enfant les reflets ardents de ses rêves et de ses illusions inassouvis ?
Nous avons dès lors relevé que ce texte était perfide et mauvais.
Et en l’appliquant par devoir de juge, nous l’avons en même temps méconnu dans sa disposition essentielle, dans l’espoir que l’avenir permette d’en relever les aspérités en vœu d’en aplanir les mordants.
Pour cela, l’ancien Président de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême souhaite la mise en place d’un comité de réflexion et de réformes constitutionnelles.