GUINÉE: Affaire Kassory Fofana : une justice sous influence ?
Affaire Kassory Fofana : une justice sous influence ?
Le collectif des avocats de l’ancien Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, a publié un communiqué accablant, dénonçant une procédure judiciaire entachée de graves irrégularités et d’ingérences politiques. À deux jours du verdict attendu le 13 février 2025, ses conseils dénoncent une “parodie de justice” orchestrée à des fins politiques.


Dans leur communiqué, les avocats de Kassory Fofana lancent un appel urgent aux autorités guinéennes, à la communauté internationale et aux défenseurs des droits humains pour qu’ils interviennent afin de garantir un jugement juste et impartial. Ils demandent notamment:
• Le respect des décisions judiciaires internationales, en particulier celle de la CEDEAO.
• L’application des recommandations médicales pour l’évacuation sanitaire de leur client.
• La fin des pressions politiques sur la justice, afin que le dossier soit traité en toute indépendance.
• Une surveillance accrue de l’issue du procès, pour éviter tout verdict rendu sous influence extérieure.
Une arrestation controversée et une détention prolongée
Arrêté le 6 avril 2022 et placé sous mandat de dépôt par la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) sous prétexte de flagrant délit, Kassory Fofana était pourtant hors des fonctions officielles depuis six mois. Son arrestation, jugée rocambolesque par ses avocats, serait dépourvue de base légale, marquant ainsi une première violation manifeste de ses droits fondamentaux.
De plus, le mandat de dépôt initialement délivré reposait uniquement sur un procès-verbal d’enquête préliminaire, sans éléments accusatoires solides. La chambre d’instruction, pourtant saisie, n’a jamais validé ce mandat, ce qui n’a pas empêché le maintien en détention prolongée de l’ancien Premier ministre, en violation des délais légaux.
Des accusations fragiles et des décisions judiciaires bafouées
Dès sa première comparution le 19 mai 2022, le parquet spécial a avancé des accusations de détournement de 46 millions de dollars de la MAMRI, accompagnées d’allégations de possession d’actifs immobiliers et financiers douteux. Toutefois, face à l’absence de preuves tangibles, ces accusations se sont rapidement effondrées, amenant la chambre d’instruction de la CRIEF à ordonner la libération de Kassory Fofana. Une décision immédiatement contestée par le procureur spécial, qui a fait appel sans succès, la chambre de contrôle ayant confirmé l’ordonnance de mise en liberté.
Le dossier a alors été porté devant la Cour suprême, qui, près d’un an plus tard, a finalement annulé la décision de libération, renforçant les soupçons d’ingérences politiques dans le traitement du dossier. Cette manœuvre procédurale a permis au parquet spécial de maintenir Kassory Fofana en détention, en dépit des décisions successives en faveur de sa libération.
Un acharnement judiciaire motivé par des considérations politiques ?
Le communiqué des avocats souligne que la procédure a été volontairement modifiée en cours de route afin de prolonger la détention de leur client. Ce changement abusif de qualification juridique, passant d’un flagrant délit à une instruction judiciaire, aurait dû entraîner la remise en liberté de Kassory Fofana, conformément aux obligations légales. Au lieu de cela, les magistrats ont suivi une logique de maintien en détention coûte que coûte.
Par ailleurs, la Cour de Justice de la CEDEAO avait ordonné la libération immédiate et inconditionnelle de l’ex-Premier ministre, ainsi que le paiement de dommages pour détention abusive. Or, cette décision est restée lettre morte, témoignant d’un refus d’appliquer les engagements internationaux de la Guinée.
Un état de santé alarmant et une justice expéditive
Depuis deux ans, Kassory Fofana est hospitalisé dans un état de santé préoccupant. Sept rapports médicaux successifs, ainsi qu’une contre-expertise du CHU de Donka, ont recommandé son évacuation sanitaire vers un centre de soins mieux équipé. Cette évacuation, pourtant ordonnée par la chambre de jugement le 11 décembre 2024, a été bloquée par le procureur spécial, qui a préféré récuser le magistrat ayant pris cette décision.
Pire encore, tous les juges ayant statué en faveur de la défense ont été systématiquement écartés de la CRIEF. Cette chasse aux magistrats dérangeants illustre, selon le collectif des avocats, l’instrumentalisation manifeste de la justice guinéenne à des fins politiques.
La précipitation soudaine du procès ajoute à la suspicion d’un dossier piloté en haut lieu. Selon la presse internationale, des “instructions ont été données au procureur spécial pour accélérer la procédure”, entraînant la programmation express d’une audience le 31 décembre 2024, et la mise en délibéré du verdict pour le 13 février 2025. Cette célérité soudaine contraste avec les lenteurs observées dans l’application des décisions favorables à la défense, renforçant les doutes sur l’impartialité de la justice guinéenne.
Un appel à la justice et au respect des droits de la défense
Face à ces multiples violations des droits de la défense, le collectif des avocats de Kassory Fofana dénonce fermement une procédure biaisée et motivée par des intérêts politiques. À la veille du verdict, il appelle les autorités judiciaires à faire preuve d’indépendance et de professionnalisme, exhortant également l’État guinéen à mettre fin aux dérives autoritaires et aux pratiques de non-droit.
L’issue du procès du 13 février 2025 sera déterminante pour l’image de la justice guinéenne. Une condamnation sans preuves solides viendrait confirmer l’instrumentalisation politique du système judiciaire, tandis qu’une libération réhabiliterait, au moins en partie, l’intégrité de l’institution judiciaire. L’opinion publique, nationale et internationale, attend désormais de voir si la Guinée choisira la voie de la justice ou celle de la répression politique.
JACQUES ROGER
