Côte d’Ivoire : Quand la justice se contredit pour satisfaire un homme
Côte d’Ivoire : Quand la justice se contredit pour satisfaire un homme
Dans l’affaire de la radiation de M. Tidjane Thiam des listes électorales et de la suspension de son certificat de nationalité, la justice ivoirienne se révèle, selon l’avocat Maître Rodrigue Dadjé, comme le théâtre d’un enchevêtrement de contradictions juridiques et de manipulations orchestrées pour écarter un adversaire politique. Ses interventions médiatiques récentes jettent une lumière crue sur les dysfonctionnements d’une justice transformée en outil au service d’intérêts personnels et partisans.
Une première contradiction : le ministre contre son directeur
Pour Me Dadjé, la première incohérence flagrante réside entre les propos du ministre de la Justice et ceux de son propre directeur des affaires civiles et pénales (DACP). D’un côté, le ministre, dans une note explicative de l’article 48 du Code de la nationalité publiée en décembre 2024, affirme qu’aucune perte automatique de la nationalité n’est prévue et qu’un contentieux judiciaire est nécessaire, sous l’impulsion du procureur, pour remettre en cause la nationalité d’un Ivoirien.
De l’autre, le DACP soutient que la perte est automatique dès l’acquisition d’une autre nationalité, et que, par « parallélisme des formes », la récupération de la nationalité ivoirienne l’est aussi après renonciation à l’allégeance étrangère.

« Il y a une contradiction formelle, et la parole du ministre, seul garant du certificat de nationalité selon la loi, a plus de valeur que celle de son directeur, qui n’est qu’un collaborateur », tranche Me Dadjé. Pour l’avocat, cette divergence interne révèle l’instrumentalisation de l’administration de la Justice : on fait dire au droit ce qui arrange l’objectif politique.
La juge savait… et a refusé quand même
Autre point saillant : l’ordonnance de la juge suspendant la délivrance du certificat de nationalité à M. Thiam. Me Dadjé souligne que la juge avait pleinement connaissance de l’ensemble du dossier, y compris du décret français du 19 mars 2025 par lequel M. Thiam avait renoncé à la nationalité française. « La juge écrit elle-même, dans sa décision de radiation, qu’il est avéré que M. Thiam s’est libéré de son allégeance à la France. Dès lors, elle savait qu’il était redevenu Ivoirien », martèle Me Dadjé.
Une procédure judiciaire dévoyée pour un objectif politique
Et pourtant, malgré cet élément déterminant, elle a suspendu la délivrance du certificat, se retranchant derrière l’existence d’un contentieux. Pour l’avocat, il s’agit là d’une décision politiquement motivée, qui viole l’esprit même du droit : « Elle a préféré bloquer un droit pourtant rétabli par la loi, sous prétexte d’un contentieux initié précisément pour empêcher l’exercice de ce droit. »

Me Dadjé rappelle que la procédure engagée par les requérants visait uniquement la radiation de M. Thiam de la liste électorale, et non l’annulation de sa nationalité. « L’objet de la procédure était clair : demander la radiation d’un nom inscrit irrégulièrement sur la liste, pas de dire que Thiam n’est pas Ivoirien. Mais au fil des audiences, on a élargi le débat à sa nationalité elle-même, ce qui n’était pas l’objet initial du contentieux. »
Pour lui, cette dérive révèle une stratégie : instrumentaliser la justice pour transformer une contestation électorale en une remise en cause de l’identité même de l’adversaire. « On a déplacé le débat pour aboutir à un résultat voulu d’avance : exclure Thiam, non pas sur la base d’un programme ou d’un scrutin, mais en utilisant les armes juridiques comme projectiles politiques. »
Un procès politique travesti en contentieux juridique
Derrière les arguties juridiques, Me Dadjé voit une seule réalité : celle d’un procès politique. « Ce dossier est l’exemple parfait d’une justice aux ordres, manipulée par le pouvoir et ses relais juridiques pour satisfaire un homme, éliminer un rival. La justice ivoirienne n’est plus l’arbitre impartial des droits et libertés, mais l’instrument d’un régime obsédé par le maintien du pouvoir. »
Et de conclure, amer : « Pendant qu’on fait croire aux Ivoiriens qu’on applique la loi, on fabrique une crise électorale par des décisions iniques. Le droit est violé pour servir l’arbitraire. Et demain, ce seront les fondements mêmes de notre démocratie qui paieront le prix de cette manipulation. »

JACQUES ROGER
LECONSERVATEUR