Tidjane Thiam face à l’article 48 : entre droit, politique et manœuvres d’exclusion
Tidjane Thiam face à l’article 48 : entre droit, politique et manœuvres d’exclusion

Dans un long plaidoyer, Tidjane Thiam a pris la parole pour répondre aux accusations sur sa nationalité ivoirienne, contestant l’application contre lui de l’article 48 du Code de la nationalité ivoirienne. Une disposition aussi obscure que controversée, vieille de 61 ans et jamais appliquée jusque-là, mais soudainement brandie comme une épée de Damoclès à l’approche de la présidentielle.
Sa défense, mêlant arguments juridiques solides et dénonciation politique assumée, éclaire un affrontement bien plus large : celui du droit contre l’arbitraire, de l’État de droit contre l’instrumentalisation des lois.
« On ne peut pas acquérir quelque chose qu’on a déjà »
C’est le cœur de son argument. Tidjane Thiam rejette l’idée qu’il ait « acquis » la nationalité française, et donc qu’il ait pu perdre la nationalité ivoirienne par application de l’article 48. « On ne peut pas acquérir quelque chose qu’on a déjà. Je ne sais pas dans quel français l’expliquer, mais on ne peut pas acquérir quelque chose qu’on a déjà », martèle-t-il.
Son dossier, dit-il, relève non pas d’une acquisition volontaire mais d’une régularisation administrative, conséquence de la complexité des statuts hérités de l’époque coloniale. « L’acte administratif ne confère pas la nationalité française, au contraire, je l’ai déjà », insiste-t-il, expliquant que sa naturalisation n’est qu’une formalisation d’un statut préexistant.
Dès lors, l’article 48, qui vise la perte automatique de la nationalité ivoirienne en cas d’acquisition volontaire d’une autre nationalité, ne saurait s’appliquer. À défaut d’acquisition, il n’y a pas de perte.
Une loi jamais appliquée, soudainement ressuscitée
Tidjane Thiam dénonce aussi l’usage opportuniste de cette loi. « On ressort une loi vieille de 61 ans, jamais appliquée », fustige-t-il. Une loi calquée à l’origine sur un droit français… que la France a elle-même abrogé depuis 1973. « Aujourd’hui, en France, on ne peut perdre la nationalité française que si on en fait expressément la demande », rappelle-t-il.
Il voit dans cette invocation tardive une volonté de l’écarter du jeu politique par des moyens détournés. « On s’accroche à cette affaire comme si c’était la dernière planche de salut, comme s’il fallait à tout prix empêcher le méchant, l’antéchrist, l’ennemi juré d’accéder à la République », ironise-t-il.
Cette stratégie, selon lui, ne repose ni sur la loi ni sur la vérité, mais sur une instrumentalisation du droit à des fins d’exclusion. Il souligne qu’à aucun moment, dans ses fonctions antérieures ou lors de sa candidature au PDCI, cette question n’avait été soulevée. « Quand je me suis présenté candidat, tout le monde était fier. Les agents prenaient des selfies avec moi. Moi-même, je ne le savais pas. Personne ne savait que je n’étais pas Ivoirien », raconte-t-il, entre surprise et indignation.
Une dénonciation politique et un appel à réformer
Au-delà de son cas personnel, Tidjane Thiam trace une réflexion plus large sur l’État de droit en Côte d’Ivoire. Il affirme : « La nationalité est un droit fondamental. Aucune loi, aucune constitution, ne devrait pouvoir la rompre automatiquement ». Par cette phrase, il en appelle à une réforme en profondeur du droit de la nationalité, alignée sur les standards internationaux.
Sa défense devient alors discours politique, dépassant sa seule personne. Il se positionne non seulement en victime d’une injustice, mais en porteur d’un projet réformiste et modernisateur, qui ambitionne de renforcer l’État de droit, de mettre fin à l’instrumentalisation des lois, et de pacifier le débat politique.
Conclusion – Entre exclusion et affirmation d’une vision
En somme, Tidjane Thiam transforme une attaque en opportunité politique. Il retourne l’accusation en dénonciation, la disqualification en démonstration. Par ses propos, il se présente en homme d’État, soucieux des principes et des libertés, face à un système tenté par l’exclusion et l’arbitraire.
Cette affaire révèle, au-delà du cas Thiam, les fragilités persistantes de la démocratie ivoirienne, où le droit reste parfois l’arme du plus fort. Mais aussi, peut-être, l’espoir qu’une autre vision du pouvoir est possible.
JACQUES ROGER
