ÉDITO: Quand l’Afrique peine, la prophétie coloniale triomphe : que reste-t-il des propos (falsifiés ?) de P.W. Botha ?
Quand l’Afrique peine, la prophétie coloniale triomphe : que reste-t-il des propos (falsifiés ?) de P.W. Botha ?
Par Jacques Roger

« Les Noirs ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes […] Donnez-leur l’indépendance, ils voleront tout l’argent du gouvernement. Donnez-leur la démocratie, ils l’utiliseront pour promouvoir le tribalisme, la haine et les guerres. »
Ces propos, attribués à l’ancien président sud-africain Pieter Willem Botha en 1988, continuent de circuler avec insistance sur les réseaux sociaux. Pourtant, aucune preuve historique ou archive officielle ne permet de les authentifier. Ils font partie de ces formules virales, apocryphes mais puissantes, qui surgissent dans les moments de doute ou de désillusion collective.
Mais si l’authenticité est discutable, la résonance, elle, est bien réelle. Et c’est là que le malaise commence.
Des mots falsifiés, une réalité troublante ?
Quiconque observe l’évolution de nombreux États africains depuis leurs indépendances ne peut ignorer certaines failles :
- crises de gouvernance à répétition,
- élites prédatrices,
- institutions fragiles,
- coups d’État déguisés,
- violences électorales,
- et détournements systémiques des ressources publiques.
Ces dérives, bien réelles, donnent à certains l’impression que “Botha avait raison”. Que cette vision profondément raciste – et pourtant fabriquée – trouve, dans nos tragédies modernes, une sorte de confirmation tragique. Or c’est justement ce piège intellectuel et moral qu’il faut démonter.
La prophétie raciste comme système de domination



L’idée que “les Noirs sont incapables de se gouverner” n’est pas née dans l’imagination d’un président sud-africain. C’est le socle idéologique de la colonisation. C’est cette croyance qui a justifié l’esclavage, la dépossession, l’humiliation, et la violence. C’est elle encore qui sous-tend le refus de transférer les pleins pouvoirs aux peuples africains pendant la décolonisation. Et c’est elle, enfin, que certains continuent d’invoquer pour expliquer – voire excuser – la mise sous tutelle économique ou politique de certains pays.
Utiliser cette citation, c’est donc participer, consciemment ou non, à une entreprise de déshumanisation historique.
Mais pourquoi résonne-t-elle encore aujourd’hui ?
Parce que l’Afrique peine à prouver l’inverse.
Parce que l’État est souvent confisqué par des clans.
Parce que la démocratie, là où elle existe, est instrumentalisée.
Parce que trop de dirigeants font passer la loyauté ethnique avant la compétence républicaine, le culte de la personnalité avant le service public, la rente avant la réforme.
Mais là encore, attention au piège : ce ne sont pas “les Noirs” qui échouent — ce sont des systèmes politiques dévoyés, souvent issus d’un compromis postcolonial boiteux, qui ne se sont pas encore affranchis des logiques néocoloniales.
L’échec est-il culturel ou structurel ?
Ceux qui croient à une incapacité génétique se trompent lourdement.
Ceux qui pensent que la démocratie est une valeur importée se méprennent aussi.
Car l’Afrique a toujours eu ses modèles de gouvernance : du consensus sénatorial de la tradition akan au cousinage à plaisanterie mandingue, de la palabre bantoue à l’organisation hiérarchique des royaumes zoulous ou mossis.
Le vrai défi, c’est d’adapter ces héritages au monde moderne, de forger une gouvernance authentiquement africaine, ni calquée ni caricaturale.
Que faire alors ? Prouver qu’il avait tort
Le combat est donc triple :
- Refuser les récits de l’infériorité, fussent-ils séduisants dans leur brutalité.
- Nommer nos échecs sans complaisance, mais sans jamais les essentialiser.
- Construire des institutions fortes, inclusives, transparentes, capables de transcender l’ethnie, le clan et l’histoire.
C’est par cette voie – longue, exigeante, mais juste – que l’Afrique pourra enfin faire taire ceux qui parient sur son effondrement.
Conclusion
Botha n’a probablement jamais dit ces mots. Mais le vrai drame, c’est que nous en sommes venus à croire qu’il aurait pu avoir raison. Il est là, le plus grand danger : non pas dans la falsification de la citation, mais dans l’authenticité de nos renoncements.
Nous n’avons pas à répondre à Botha. Nous devons répondre à l’histoire. Et cette réponse ne se donne pas en mots, mais en actes.
JACQUES ROGER
