ÉDITO: Instrumentalisation de la nationalité : la nouvelle stratégie du RHDP pour écarter Tidjane Thiam
Le président du PDCI est au cœur d’une délicate controverse sur son éligibilité à la présidentielle de 2025, en raison de sa double nationalité, française et ivoirienne. Bien qu’il ait annoncé avoir officiellement renoncé à la première, pourra-t-il être candidat à la présidentielle d’octobre ?




La scène se déroule sur un plateau de télévision, le 2 février. Arthur Banga, spécialiste des questions de défense à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, lâche une bombe : « Le président du PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire], à l’heure où je vous parle, ne peut pas être candidat parce qu’il n’a pas renoncé à sa nationalité française ». Une déclaration à l’attention de Tidjane Thiam, élu à la tête du parti en décembre 2023, qui va rapidement enflammer le débat public et mettre en lumière les zones grises du droit de la nationalité en Côte d’Ivoire.
La réaction du principal intéressé ne s’est pas faite pas attendre. Le 7 février, Tidjane Thiam est apparu dans une vidéo, aux côtés de ses avocats Mathias Chichportich et Chrysostome Blessy. Il annonce avoir « déposé [sa] demande de libération de la nationalité française », une démarche qu’il affirme avoir « prévue de longue date ». Mais ce timing va paradoxalement alimenter la polémique.
Me Mathias Chichportich, joint par Jeune Afrique, tient à recadrer le débat : « Tidjane Thiam m’a confié le mandat d’engager toutes les démarches nécessaires pour renoncer à sa nationalité française il y a déjà de nombreux mois ». Selon l’avocat, si le dépôt officiel de la demande a eu lieu début février à l’ambassade de France en Côte d’Ivoire, les formalités avaient été entamées bien avant la controverse.
Le cas de Tidjane Thiam illustre la complexité des cas de double nationalité. Né le 29 juillet 1962 à Abidjan, il est le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, père de l’indépendance du pays. Un « détail » généalogique qui prend une importance cruciale dans le contexte actuel : son père, Amadou Thiam, n’a obtenu la nationalité ivoirienne que quelques mois après sa naissance, le 6 novembre 1962, par décision personnelle du président Houphouët-Boigny.
Le futur patron du PDCI intègre des classes préparatoires scientifiques en France, dès 1980. Premier Ivoirien reçu à l’École polytechnique en 1982, il sort diplômé de l’École des Mines en 1986.
C’est en 1987 que le gouvernement français lui attribue la nationalité française, « sans qu’il n’en soit à l’initiative », précise son avocat. Une récompense pour son parcours d’excellence lequel est, ironiquement, aujourd’hui brandi comme un obstacle potentiel à ses ambitions
présidentielles.
Casse-tête juridique
L’interprétation de l’article 48 du Code de la nationalité ivoirienne divise les juristes. Cette disposition stipule qu’un Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère perd automatiquement sa nationalité ivoirienne. « Cet article est inappliqué et inapplicable », avance Me Chichportich qui estime que sa mise en œuvre « aurait des conséquences désastreuses sur l’ensemble de la diaspora ivoirienne. L’article 48 n’a jamais été appliqué à quiconque en 64 ans. L’appliquer à mon client serait donc contraire au principe d’égalité devant la loi et à la Constitution », insiste-t-il.
Jean Bonin, juriste et ancien collaborateur de Tidjane Thiam au Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD), est plus nuancé : « Si Thiam est né Français, il n’est pas concerné par l’article 48. S’il a acquis la nationalité française en tant que mineur, il n’est pas non plus concerné. En revanche, s’il est né Ivoirien et a acquis la nationalité française à sa majorité, alors il a théoriquementbperdu sa nationalité ivoirienne. » Une analyse que rejette l’entouragevde Thiam, convaincu que l’irruption des débats sur cette question a pour unique but « d’empêcher sa candidature ». « Personne ne connaissait l’existence de cet article avant qu’une équipe d’avocats chargée de trouver un moyen d’éliminer Thiam ne le ressorte », regrette un proche du président du PDCI.
Personne ne connaissait l’existence de l’article 48 avant qu’une équipe d’avocats chargée de trouver un moyen d’éliminer Thiam ne le ressorte.
Un proche du président du PDCI
« Ce sont les proches de Thiam qui ont contribué à alimenter la confusion en donnant plusieurs versions de la façon dont il a acquis la nationalité française », estime un cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir. Face aux accusations d’instrumentalisation de la loi par les opposants, ce dernier réplique : « Toutes ces lois sur la nationalité ont été créées lorsque le PDCI était au pouvoir, c’est donc de la mauvaise foi de faire croire que c’est contre lui. Au contraire, elles ont depuis été assouplies. Le PDCI a créé l’ivoirité, il est aujourd’hui pris à son propre piège car si les lois qui avaient été adoptées par son parti à l’époque étaient appliquées, Thiam n’aurait pas pu être à la tête du PDCI et, a fortiori, candidat à l’élection présidentielle ».
Pour cette même source, le regain du discours sur la nationalité n’est pas nouveau. « Ces trois dernières années, les caciques du PDCI ont traité des personnalités du RHDP d’étrangers. Plusieurs incidents ont eu lieu lors des élections locales. » « La dernière sortie de Véronique Aka montre que le parti n’a pas évolué », ajoute-t-il en référence aux propos tenus lors d’une conférence de presse le 27 février par la présidente du Conseil régional du Moronou et patronne de l’Union des femmes rurales du PDCI. Celle-ci avait invité Jean-Louis Billon, candidat déclaré à l’investiture du parti pour la présidentielle, à « aller se présenter chez les Touaregs ».
Compte à rebours
Le calendrier électoral ajoute une pression supplémentaire. Me Youssouf Méité, avocat au barreau d’Abidjan, souligne que « les candidats doivent déposer leur dossier 60 jours avant les élections » prévues en octobre 2025. Or, la procédure de renonciation à la nationalité française prend habituellement « entre 6 mois et 1 an ».
« Le simple dépôt de la demande ne vaut pas renonciation effective, précise Me Méité. Il faut que le décret soit publié au Journal officiel.
Le Conseil constitutionnel juge sur pièces et devra avoir la preuve formelle de cette renonciation au moment du dépôt de candidature. »
Une situation qui crée un véritable compte à rebours pour Thiam.
Cette situation n’est pas sans rappeler d’autres cas dans la politique ivoirienne. Jean-Louis Billon et Patrick Achi auraient déjà renoncé à leur nationalité française, le premier dans le cadre de ses ambitions présidentielles. Me Méité note qu’il « existe une tolérance administrative concernant la double nationalité ». De nombreux Ivoiriens occupent des fonctions publiques, tout en ayant une autre nationalité. « La question ne devient problématique que pour la présidence de la République », précise-t-il en référence à l’article 55 de la Constitution qui exige que tout candidat soit « exclusivement ivoirien ».
Double enjeu
Cette controverse a également des répercussions au sein même du PDCI. En interne, des voix se sont élevées pour remettre en question l’élection de Thiam à la tête du parti, donnant lieu à une procédure judiciaire visant à le destituer. Les plaignants soulignent que les textes du parti exigent que le président soit « Ivoirien ». Une interprétation depuis rejetée, les statuts ne mentionnant pas l’obligation d’être
« exclusivement » Ivoirien. La formation a d’ailleurs rapidement réagi en annonçant que les plaignants n’étaient pas membres du PDCI, et la plainte a été classée sans suite.
Au-delà du cas personnel de Tidjane Thiam, cette polémique soulève des questions fondamentales pour la démocratie ivoirienne. La gestion de la double nationalité dans la vie politique reste un sujet sensible,
particulièrement dans un pays où la diaspora joue un rôle important et où nombre d’acteurs politiques, tous bords confondus, disposent d’autres passeports que l’ivoirien.
Pour Tidjane Thiam et le PDCI, l’enjeu est désormais double : obtenir le décret de renonciation dans les délais impartis et convaincre l’opinion publique de la légitimité de sa candidature. Une équation complexe qui pourrait redessiner les contours de la prochaine élection présidentielle et influencer durablement le traitement de la question de la double nationalité en politique.
JACQUES ROGER