ÉCONOMIE: L’inscription de la Côte d’Ivoire sur la liste grise du GAFI : enjeux économiques, réformes nécessaires et impacts politiques à l’approche de 2025
En octobre 2024, la Côte d’Ivoire a été inscrite sur la “liste grise” du Groupe d’action financière (GAFI), une organisation internationale qui établit des normes pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Cette inscription signifie que le pays doit intensifier ses réformes pour combler les lacunes identifiées, sous la surveillance du GAFI et du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), un organisme régional qui soutient les pays d’Afrique de l’Ouest dans l’application de ces normes.
Ce statut pourrait nuire à l’attractivité de la Côte d’Ivoire pour les investissements étrangers et compromettre sa capacité à lever des fonds via des instruments financiers, malgré les progrès économiques récents. En outre, il pourrait devenir un enjeu politique à l’approche des élections présidentielles de 2025, l’opposition étant susceptible de critiquer la gestion économique du gouvernement en soulignant une « croissance sans développement ».
Depuis 2023, la Côte d’Ivoire a entrepris des réformes pour renforcer ses dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et améliorer la transparence financière, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour renforcer la supervision des secteurs financiers vulnérables, accroître les poursuites judiciaires et répondre aux attentes internationales en matière de conformité.
Les raisons principales de l’inscription de la Côte d’Ivoire sur la liste grise du GAFI et du GIABA sont les suivantes :
1. Insuffisances dans la lutte contre le blanchiment de capitaux : La Côte d’Ivoire présente des failles dans le contrôle et la supervision des activités financières, notamment dans le secteur informel, qui facilite des pratiques de blanchiment.
2. Vulnérabilité du secteur informel : Le secteur informel représente une large part de l’économie ivoirienne (entre 30 et 40 %), ce qui complique la traçabilité des fonds et rend le système financier vulnérable aux pratiques illicites.
3. Manque de supervision des secteurs non financiers : Les professions non financières (comme les avocats, comptables et agents immobiliers) sont souvent des points d’entrée pour le blanchiment de capitaux, et la supervision de ces secteurs est jugée insuffisante par le GAFI et le GIABA.
4. Faiblesse dans les poursuites et les enquêtes : Bien que des réformes aient été initiées, la Côte d’Ivoire manque encore de ressources et de moyens pour mener des enquêtes et des poursuites efficaces contre les infractions liées au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.
5. Réseaux de financement suspects liés à des organisations terroristes : Certains flux financiers suspects, notamment en lien avec des réseaux internationaux comme ceux liés au Hezbollah, ont attiré l’attention internationale, augmentant la pression sur la Côte d’Ivoire pour améliorer ses contrôles financiers.
6. Insuffisances en matière de transparence : La transparence sur les bénéficiaires effectifs des entreprises est insuffisante, ce qui empêche une surveillance efficace des flux financiers et facilite les pratiques de blanchiment.
Ces raisons mettent en évidence la nécessité pour la Côte d’Ivoire de renforcer son cadre juridique, d’améliorer la supervision des secteurs à risque et d’augmenter les ressources allouées aux institutions chargées de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
UNE ANALYSE
L’inscription de la Côte d’Ivoire sur la liste grise du GAFI met en lumière des défis importants pour le pays dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette situation reflète plusieurs insuffisances structurelles qui menacent la stabilité financière et l’attractivité économique de la Côte d’Ivoire.
D’une part, l’économie ivoirienne dépend largement d’un secteur informel très vaste, représentant entre 30 et 40 % du PIB, ce qui complique le contrôle des flux financiers et expose le pays à des risques élevés de blanchiment. Le manque de régulation dans ce secteur pose un obstacle pour les efforts de conformité aux normes internationales, car il laisse des brèches exploitables par les réseaux criminels. En parallèle, le pays manque également de supervision dans les professions non financières, qui sont souvent impliquées dans les opérations de blanchiment mais ne sont pas suffisamment surveillées.
Le pays se retrouve donc dans une position complexe, nécessitant à la fois des réformes structurelles et une communication proactive pour rassurer les investisseurs. L’inscription sur la liste grise pourrait dissuader certains investisseurs étrangers, menaçant ainsi les efforts de développement et la croissance économique. D’autre part, dans un contexte politique sensible, à l’approche des élections de 2025, cette inscription risque d’être exploitée par l’opposition pour critiquer la gestion économique du gouvernement actuel, soulignant une « croissance sans redistribution ».
En termes géopolitiques, la Côte d’Ivoire se trouve sous pression pour renforcer ses contrôles financiers en raison de liens potentiels entre certaines communautés de la diaspora et des organisations terroristes, en particulier dans un contexte international marqué par des tensions accrues au Moyen-Orient. Ces relations complexes ajoutent une dimension internationale à la situation et risquent de compliquer la mise en œuvre de réformes strictes, car elles impliquent potentiellement des acteurs influents et des réseaux puissants.
Enfin, bien que des réformes aient été engagées depuis 2023 pour répondre aux attentes du GAFI, il est clair que la Côte d’Ivoire doit intensifier ses efforts en matière de transparence, de surveillance des bénéficiaires effectifs, et de poursuites des infractions financières. À cet égard, observer les pratiques et les progrès réalisés par d’autres pays de la liste grise, comme le Sénégal, pourrait être bénéfique pour adapter les mesures aux réalités locales et améliorer l’efficacité du dispositif ivoirien.
En somme, cette situation représente un appel à l’action pour la Côte d’Ivoire, nécessitant un équilibre entre répondre aux pressions internationales et préserver la stabilité économique et sociale locale.
JACQUES ROGER