La Guinée face à ses démons ethniques : comment naviguer entre une dictature malinké et la menace d’une dictature peule ?
UN PAYS FONCIÈREMENT ETHNIQUE
La Guinée, un pays doté de richesses naturelles que le premier président Ahmed Sékou Touré qualifiait d'”accident géologique”, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. L’histoire politique guinéenne est marquée par des régimes successifs qui, sous le vernis de la démocratie, n’ont fait que perpétuer des formes de dictature, souvent teintées de considérations ethniques.
Aujourd’hui, le pays se trouve sous la gouvernance du Colonel Mamady Doumbouya, un Malinké, qui, après avoir déposé Alpha Condé, a tenté de redorer l’image du pays tout en s’inscrivant dans la lignée des régimes autoritaires qui l’ont précédé.
Le poids de l’ethnicité dans la politique guinéenne
La gestion ethnique et clanique du principal parti de l’opposition, l’UFDG, dirigé par Cellou Dalein Diallo, laisse présager un avenir politique qui ne diffère guère de celui que la Guinée a connu jusqu’à présent. L’UFDG, largement perçu comme un parti peul, risque de reproduire les mêmes dynamiques de pouvoir une fois au sommet de l’État. Ce spectre d’une dictature latente peule se profile, suscitant des craintes légitimes quant à une simple inversion des rôles, où une élite peule remplacerait une élite malinké, sans pour autant améliorer les conditions de vie des Guinéens ni instaurer une véritable démocratie.
La dictature malinké actuelle, incarnée par Doumbouya, ne diffère pas fondamentalement de celles qui l’ont précédée, si ce n’est par une certaine amélioration des infrastructures. Toutefois, ces avancées ne suffisent pas à masquer les atteintes aux droits de l’homme et le recul démocratique. Le régime de Doumbouya, malgré quelques apparences de modernisation, reste ancré dans une tradition autoritaire, où la centralisation du pouvoir et la marginalisation des opposants sont la norme.
Le dilemme de Doumbouya : transition ou consolidation ?
Le Colonel devenu Général putschiste se trouve face à un dilemme crucial : organiser des élections libres et transparentes, au risque de céder le pouvoir à un opposant qui pourrait répéter les erreurs du passé, ou bien conserver le pouvoir en justifiant sa gouvernance par la nécessité de réformes en profondeur. La question se pose avec acuité : Doumbouya est-il prêt à sacrifier son pouvoir pour le bien de la nation, ou continuera-t-il à renforcer son emprise, tout en perpétuant la dictature sous une autre forme ?
La libération de figures emblématiques de l’ancien régime, telles que l’ancien Premier ministre Kassory Fofana et certains cadres comme Damaro Camara, qui sont injustement maintenus en détention, pourrait cependant contribuer à améliorer l’image de Doumbouya. En libérant ces personnalités, le chef de la junte montrerait une volonté d’apaisement et de réconciliation, gagnant ainsi en crédibilité sur la scène nationale et internationale.
Un effort louable dans la justice : le procès du 28 septembre
Il convient toutefois de féliciter la junte et le magistrat Paul pour l’organisation du procès historique du 28 septembre. Les condamnations justes et salutaires des commanditaires et exécuteurs des massacres montrent que, malgré les difficultés, la Guinée parvient encore à préserver une certaine valeur humaine. Ce contraste est particulièrement frappant par rapport à certains pays de la région, comme la Côte d’Ivoire, où les génocidaires et grands criminels de guerre sont non seulement protégés mais parfois même glorifiés.
Quel rôle pour la population ?
Dans cette dynamique politique marquée par les considérations ethniques, la population guinéenne, hélas souvent instrumentalisée, semble condamnée à subir les décisions des élites. Il serait trop simpliste de dire que les peuples ont les dirigeants qu’ils méritent. Cependant, il est indéniable que la société guinéenne, dans sa diversité ethnique, reflète en partie les divisions et les tensions qui caractérisent sa classe dirigeante. Face à cette situation, une prise de conscience collective est nécessaire, où les Guinéens de toutes les ethnies pourraient s’unir pour exiger un changement véritable, fondé sur des valeurs de justice, d’équité, et de respect des droits humains.
La Guinée, riche de ses ressources naturelles et de son histoire, mérite mieux que le cycle infernal des dictatures ethniques. Il est temps pour le peuple de réclamer son droit à une démocratie réelle, où l’ethnicité ne serait plus le prisme à travers lequel se construisent et se détruisent les rêves de toute une nation.
JACQUES ROGER