Billet : Côte d’Ivoire – expulsions forcées : quand l’État oublie son peuple
Billet : Côte d’Ivoire – Expulsions Forcées : Quand l’État Oublie Son Peuple
En ce mois d’août 2024, des milliers de familles ivoiriennes continuent de pleurer leurs foyers détruits, leurs vies brisées, et leurs espoirs anéantis. Depuis janvier, les autorités ivoiriennes ont mené des opérations de démolition massive dans les quartiers populaires de Gesco, Boribana, Banco 1 et Abattoir, laissant des dizaines de milliers de personnes sans abri, sans recours, et sans avenir clair.
La situation est alarmante. Amnesty International nous rappelle l’ampleur de la catastrophe : des expulsions effectuées sans préavis adéquat, dans des conditions brutales, et avec une absence totale de concertation avec les populations concernées. Des maisons démolies, des écoles rasées, des moyens de subsistance anéantis. La promesse de mesures de soutien annoncées en mars reste, pour l’heure, un mirage pour ceux qui en ont le plus besoin.
Les témoignages des victimes sont déchirants. Aimée, une habitante de Gesco, raconte avec désespoir : « J’étais sortie. À mon retour, ma maison avait déjà été démolie. » Pour cette mère de famille, il n’y a eu aucun avertissement, aucun préavis. Du jour au lendemain, sa vie a basculé, emportée par les bulldozers sans sommation.
Waraba, une étudiante à l’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire, a vu son avenir s’effondrer en même temps que sa maison : « À cause du choc, mon père a eu un accident vasculaire cérébral, il n’arrive plus à travailler. J’ai dû arrêter mes études pour aider ma maman à faire du petit commerce et subvenir à nos besoins. » Cette situation, qui aurait pu être évitée, met en lumière le poids que ces expulsions font peser sur les épaules de jeunes gens comme elle, contraints de sacrifier leurs rêves pour la survie de leur famille.
Quant à Julien, propriétaire d’un immeuble à Gesco, il s’interroge sur l’avenir de sa propriété, même s’il possède un Arrêté de Concession Définitif (ACD) : « L’ACD est le papier qui prouve que ce terrain m’appartient. Et ce que j’ai construit dessus, on me l’a cassé. Est-ce que ce terrain m’appartiendra toujours ou on veut me l’arracher ? » Ce sentiment d’injustice résonne chez de nombreux habitants qui se retrouvent, du jour au lendemain, dépossédés de leurs biens légitimement acquis.
Ces histoires révèlent un mépris flagrant des droits humains fondamentaux. Les autorités ivoiriennes, dans leur empressement à “dégager” ces zones jugées à risque d’inondation, ont ignoré les obligations qui leur incombent au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Le droit à l’éducation, à la propriété, et à un logement décent a été bafoué.
Face à cette situation, l’appel à l’action est urgent. Les autorités doivent suspendre immédiatement ces expulsions jusqu’à ce que des garanties solides soient mises en place pour protéger les droits des personnes touchées. Il est impératif que toutes les familles affectées soient relogées, indemnisées de manière équitable, et que les enfants puissent retourner à l’école.
Nous ne pouvons accepter que des Ivoiriens soient jetés à la rue, sans rien, alors même que leur gouvernement leur avait promis sécurité et justice. Il est temps que l’État ivoirien prenne ses responsabilités et agisse en faveur de son peuple, et non contre lui. Les victimes de ces expulsions méritent bien plus que des promesses non tenues ; elles méritent justice, dignité et un avenir.
L’attitude du gouvernement ivoirien, composé en grande majorité de responsables issus des différentes régions du nord du pays, rappelle tristement la gestion coloniale. Les colons, pas détachés des populations locales, utilisaient des méthodes brutales pour asseoir leur pouvoir et réaliser des projets uniquement profitables à la métropole. Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer qu’un ministre comme Bacongo, originaire du nord de la Côte d’Ivoire, aurait agi de la sorte si ces destructions avaient eu lieu dans le nord du pays. La déshumanisation de ces expulsions montre un pouvoir déconnecté de son peuple, répétant les erreurs du passé colonial.
JACQUES ROGER