TCHAD: Réconciliation nationale et perspectives futures : Succès Masra s’exprime sur son rôle de Premier Ministre
Le nouveau Premier ministre de la transition au Tchad, Succès Masra, a accordé sa première interview à un média international, en l’occurrence à France 24. […] L’interview, menée depuis N’Djamena, met en lumière son engagement envers la réconciliation nationale et sa confiance envers le président Mahamat Idriss Déby Itno, qu’il considérait auparavant comme un opposant farouche.

” Ce n’est pas tant le poste qui revêt une importance primordiale, mais plutôt le contexte actuel de notre pays. Dans une conjoncture internationale marquée par l’avènement d’une nouvelle république, le Tchad a évolué de la 4e à la 5e République, accompagné d’une nouvelle constitution. Il devient impératif d’assumer une responsabilité collective, réunissant tous les Tchadiens et Tchadiennes autour d’un pays qui traverse une période critique et nécessite une guérison collective. Je perçois ainsi un appel à la responsabilité envers mes compatriotes, m’engageant à diriger une équipe travaillant de concert avec le président de la transition. Depuis l’adoption de la nouvelle constitution propulsant le Tchad vers la 5e République, le président de la transition assume également pleinement le rôle de président de la République. Ensemble, nous aspirons à servir l’ensemble des Tchadiens et Tchadiennes. C’est un peu comme être le pilote principal, le commandant de bord, qui a généreusement choisi de m’inviter à ses côtés en tant que copilote. Nous avons pour mission essentielle d’organiser des élections optimales tout en jouant le rôle de gouvernement de transition et d’action, visant à répondre aux besoins pressants des Tchadiens pendant cette période. Certains défis ne peuvent attendre, et notre engagement consiste à assurer un atterrissage en douceur à l’aéroport de la démocratie. Ainsi, à la fin de cette transition, les Tchadiens et les Tchadiennes auront la liberté de choisir leurs dirigeants en toute indépendance”
Interrogé sur la perception de sa collaboration avec Mahamat Idriss Déby Itno comme une trahison, Masra a fait un parallèle avec Nelson Mandela et la réconciliation nationale en Afrique du Sud. Il a souligné la nécessité d’une réconciliation qui implique le dialogue et l’intelligence collective, affirmant que cela ne signifie pas une capitulation.
“ Ça me rappelle certains moments où Nelson Mandela a eu le courage de tracer le chemin de la réconciliation nationale. Je me suis posé la question, et je crois en la réconciliation nationale. Pour se réconcilier, il ne faut pas être à 100 % d’accord, sinon, on perdrait le sens même du mot réconciliation. Cela s’appelle la capitulation, la soumission. Je suis ici dans le cadre d’une véritable réconciliation nationale. Il y a l’accord de réconciliation que nous avons signé à Kinshasa sous l’égide du président Félix Tshisekedi, en qualité de facilitateur désigné par tous les chefs d’État de l’Afrique centrale. C’est peut-être une première africaine où des Tchadiens se retrouvent sur le sol africain pour signer un accord de réconciliation sans armes, par le dialogue, par l’intelligence collective. Donc, oui, il faut être deux pour réaliser la réconciliation. Que celui qui est contre la réconciliation me jette la première pierre, mais j’ai l’impression que les Tchadiens ont plutôt massivement approuvé cela. Vous avez vu la tournée, la caravane nationale de réconciliation que j’ai organisée à l’échelle du pays, et je pense que vous avez les images. Cela n’est jamais arrivé dans l’histoire de ce pays. Ce peuple fait confiance totalement, et nous, en tant que serviteurs, croyons en la réconciliation qui ne doit pas rester un simple mot, mais devenir un acte, une attitude, des actions. C’est sur cette base que je suis pleinement engagé pour aller réconcilier dans une très large mesure et aujourd’hui être au service de tous les Tchadiens.”
Quant à sa confiance envers le président, Masra a souligné que la réconciliation nécessite la confiance des deux côtés. Il a insisté sur le rôle majeur du président dans le déclenchement du processus de réconciliation, et leur collaboration est vue comme essentielle pour unir le pays.
Vous savez, là, il n’y a pas une unité de mesure de la confiance ou une unité de mesure de la sincérité. Si vous en avez une, bon, je suis preneur, mais moi, je n’en ai pas trouvé. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis totalement sincère dans ma démarche qui est une démarche de servir. Je peux aussi vous dire une deuxième chose : si le président Mamad Idris Deby Itno n’était pas d’accord pour que nous signions même un accord, eh bien, nous n’aurions pas eu l’accord. S’il n’était pas d’accord que je sois à ses côtés pour que ensemble nous puissions travailler à réconcilier les Tchadiens et apporter des solutions concrètes à leur vie, je ne serais pas à ce côté. Donc, il a été un acteur majeur et déclencheur de ce processus, et il a fallu aussi que moi-même je fasse aussi un pas. Il a fallu avoir des regards bienveillants de nos compatriotes africains et puis, sans doute, tout cela a permis que nous arrivions là où nous sommes. Donc, je crois qu’il est responsable, il est garant de l’unité du pays, et donc il est totalement engagé pour la réconciliation, et c’est sur cela que je suis totalement engagé. Donc, oui, aujourd’hui, je lui fais totalement confiance pour être responsable et pour que nous soyons ensemble loyaux devant le peuple tchadien, patriote engagé pour servir ce Tchad-là, nouveau dans un environnement où, vous le savez, regardez le Soudan voisin, regardez la Libye, regardez l’espace Sahel, il y a des moments où les enjeux sont tels que, comment vous dire, la situation du Tchad vaut bien une réconciliation et vaut bien que nous soyons tous à la hauteur des enjeux. Et je crois que c’est à l’aune de cela que nos convictions réciproques se sont retrouvées et aujourd’hui nous allons travailler avec toutes les intelligences tchadiennes pour avancer et avec tous les amis du Chad pour avancer ensemble. Donc, oui, il y a une confiance qui est là et qui est le socle sans lequel je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. On se souvient que vous aviez fui le chat suite aux manifestations et à la répression sanglante en octobre 2022. Il y a une amnistie qui a été déclarée.
La question de l’amnistie pour les acteurs de la répression en octobre 2022 a également été abordée. Masra a clarifié que la réconciliation ne signifie pas l’arrêt de la justice. Il a souligné la nécessité d’une justice qui élève la nation sans la venger, reconnaissant les douleurs et les morts inutiles de l’histoire du pays.
“Non, ça, c’est votre interprétation. Est-ce que la signature d’un accord de Mass Rassul suffit à arrêter la justice ? Vous me donnez plus de pouvoir que même un président de la République dans une république normale, même un roi, n’arrêterait pas la justice par une simple signature. Si on considère que se réconcilier n’est pas important, ça, c’est autre chose. Mais je crois que l’essentiel des Tchadiens croit dans la nécessité de la réconciliation nationale, et donc je crois dans une justice qui n’est pas, comment dire, une revanche. La justice, ce n’est pas la vengeance. Certains, peut-être auxquels vous faites allusion, confondent la justice et la vengeance. Dans mon esprit, la justice est quelque chose qui doit élever une nation, mais pas quelque chose qui doit décimer une nation. Est-ce qu’il y a eu des douleurs ? Oui, il y a eu des douleurs. Est-ce qu’il y a eu des morts inutiles ? Oui, il y a eu des morts inutiles dans toute l’histoire de notre pays. Et l’occasion est devant nous d’être non pas des analystes de l’histoire, mais de faire partie de cette histoire et de dessiner un avenir meilleur. Donc, je suis tourné vers l’avenir. Nous passons à la 5e République, mais avec l’obligation de panser les plaies, de réconcilier les cœurs, de guérir les blessures et de nous inscrire dans une dynamique pour que le passé ne revienne plus. Voilà la responsabilité collective qui est la nôtre. C’est dans ce chemin-là que je m’inscris. Je suis quelqu’un qui croit dans la justice, dans l’égalité, dans la diversité et dans la dignité. Et c’est ce corpus-là de valeurs que je viens défendre aujourd’hui en tant que chef du gouvernement, à côté du président de l’exécutif qui est le président de la transition. Il faut deux frères pour s’asseoir à la table, et donc, oui, nous avons fait le pas, il a fait le pas, et d’autres Tchadiens vont faire la paix ensemble.”
En conclusion, Succès Masra s’est engagé à tourner vers l’avenir, à panser les plaies, à réconcilier les cœurs et à créer un avenir meilleur pour le Tchad. Sa vision repose sur la justice, l’égalité, la diversité, et la dignité, valeurs qu’il défendra en tant que chef du gouvernement pendant cette période cruciale de transition.
INTERVIEW FRANCE 24

JACQUES ROGER