CÔTE D’IVOIRE: La Vague de Rebaptisations : Entre Histoire et Égocentrisme
La Vague de Rebaptisations : Entre Histoire et Égocentrisme”
Dans une séquence d’événements qui pourrait étonner les plus sceptiques, le 5e pont d’Ivoire, anciennement connu sous le nom de “Pont de Cocody”, a été rebaptisé “Pont Alassane Ouattara”. Cette décision s’inscrit dans une tendance croissante où des projets financés par les contribuables ivoiriens se parent désormais des noms du président en exercice et de son cercle proche.
Cette démarche pose la question de l’équilibre entre la reconnaissance de l’histoire et la célébration de l’ego personnel, alors que les noms des figures emblématiques du passé, comme Félix Houphouët-Boigny, cèdent progressivement la place à ceux de la génération actuelle. Se demande-t-on si le président Alassane Ouattara cherche à rivaliser avec l’héritage laissé par le vénérable Houphouët-Boigny ?
Le paysage urbain lui-même témoigne de ce changement : d’Abidjan à Bouaké, l’université “Félix Houphouët-Boigny” est désormais accompagnée de “l’université Alassane Ouattara”, symbolisant une évolution marquante. Cela s’étend au-delà des établissements académiques, touchant également les stades avec la transformation du stade d’Ebimpé en “stade Alassane Ouattara”. Et maintenant, le “Pont de Cocody” cède sa place au “Pont Alassane Ouattara”. Demain, la tour F ou le palais des expositions ? Ces transformations, en apparence mineures, interpellent sur l’impact de la personnalisation de l’espace public sur notre perception de l’histoire nationale.
Cette tendance soulève des inquiétudes concernant la démocratie et la reconnaissance culturelle. Dans les démocraties, ce sont généralement les successeurs ou les générations futures qui nomment les projets et institutions, instaurant ainsi un héritage partagé et une continuité nationale. À l’opposé, les actuelles rebaptisations manquent de subtilité et peuvent être perçues comme une adulation excessive de la personnalité.
En plus de l’aspect symbolique, l’aspect financier pose question. Les projets financés par les contribuables ivoiriens sont-ils la propriété exclusive d’individus spécifiques ? La notion que ces réalisations ne sont pas le fruit d’un seul individu, mais appartiennent à la nation dans son ensemble, s’estompe rapidement.
La démocratie repose sur l’acceptation de diverses perspectives et la reconnaissance des contributions de multiples acteurs à la construction nationale. En imposant des noms personnels sur des projets financés collectivement, on risque d’appauvrir cette diversité et d’effacer des pans importants de l’histoire.
Il est important de noter que les Ivoiriens ont accepté cette pratique du temps de Félix Houphouët-Boigny, principalement considéré comme le père fondateur de la Côte d’Ivoire, et lui ont attribué un honneur exceptionnel de son vivant en lui dédiant de nombreux ouvrages. Cependant, ce qui a été toléré alors ne sera peut-être pas accepté d’un Ivoirien contemporain. Ni Bédié ni Gbagbo n’ont adopté cette pratique.
En conclusion, la vague de rebaptisations de projets publics au nom du président en exercice soulève des interrogations profondes sur la démocratie, l’héritage national et la préservation de la mémoire collective. Alors que la Côte d’Ivoire avance, il est crucial de trouver l’équilibre entre la reconnaissance du passé, la célébration du présent et la création d’un avenir qui puisse réunir les générations et les perspectives variées qui composent le pays.
JACQUES ROGER