Venance Konan: Quand Gbagbo fait du Gbagbo
On le sait tous dans ce pays, les régions de la Mé et de l’Agnéby figuraient au rang des bastions de Laurent Gbagbo lorsqu’il était dans l’opposition et ensuite au pouvoir. C’est parmi les Attié et les Abè que l’on comptait les militants les plus forcenés du FPI d’alors. Laurent Gbagbo, qui semble être resté mentalement quelques douze ou treize ans en arrière, était donc en droit de s’attendre à un déferlement de personnes en transe, à l’occasion de sa première visite à Adzopé, chef-lieu de la région de la Mé, depuis son retour de prison. Hélas, trois fois hélas, nous sommes bien en 2022 et Patrick Achi, le Premier ministre du Président Alassane Ouattara, a fini de retourner la région à travers toutes les réalisations qui sont bien visibles de tous ceux qui veulent ouvrir les yeux dans cette région.

Aux dernières élections, sur sept postes de députés, six sont allés au RHDP, et un au parti de Laurent Gbagbo. Et sur six postes de maires, quatre sont allés au RHDP, un au FPI d’Affi Nguessan, et un au PDCI. Et le conseil régional est présidé par le RHDP. Y-a-t-il preuve plus éloquente du changement de logiciel dans la région ?
Alors, contrairement à ce que veulent nous faire croire les journaux bleus qui affirment, en dépit de ce que tout le monde a vu, que ce qui s’est passé à Adzopé était « gigantesque et phé-no-mé-nal ! », c’est une petite foule, convoyée pour la plupart d’Abidjan et d’ailleurs, qui a eu bien de mal à remplir les bâches installées sur la pelouse du stade de la ville. Les témoins honnêtes assurent que les organisateurs ont eu beaucoup de peine pour faire le plein sous ces bâches. Les photographes des journaux proches de Laurent Gbagbo ont dû faire preuve de beaucoup d’imagination pour montrer des images de foule.
Ceci étant, qu’a fait Laurent Gbagbo dans ce meeting annoncé à grands cris ? Il a juste fait du Laurent Gbagbo. C’est-à-dire s’attirer les rieurs et des applaudissements faciles sans rien dire d’important. Comme à son habitude, il a rappelé que sa « femme » Nady Bamba avait déménagé pour aller s’installer en Europe afin de s’occuper de lui. Sans doute parce que son épouse légitime Simone était en train de prendre du bon temps en prison au lieu de penser à lui. Ensuite il a rappelé qu’il est un homme qui n’a jamais eu peur, qui a affronté beaucoup de situations très dangereuses dont il a triomphé ; et cela remonte à son enfance. Oui, a-t-il raconté, tout petit, alors qu’il n’était qu’en classe de CM2, il a accompagné dans la brousse son père qui venait de tuer un éléphant, et, vous ne devinerez jamais ce qu’il a fait, il est monté sur l’éléphant mort. Alors qu’une féroce panthère rodait dans le coin et attrapait tous les soirs les brebis. Et c’est son père qui a tué cette panthère. Il n’a pas dit qu’il était là quand son père tuait la panthère, mais comme il le dit, depuis son enfance jusqu’aujourd’hui, il affronte les difficultés. Ah oui ! Grimper sur un éléphant mort alors qu’une panthère rode dans le coin, quel courage ! Donc, il a conclu qu’un homme comme lui qui est passé par de telles épreuves ne saurait avoir peur d’Houphouët-Boigny. Et il n’a pas eu peur de lui. Il ne saurait donc avoir peur de ses enfants qu’on appelle le RHDP. Rappelons-lui tout de même que le RHDP n’ambitionne nullement de lui faire peur. Ses ambitions sont beaucoup plus modestes. Peut-être trop modestes pour Laurent Gbagbo qui n’ambitionne pas moins que de libérer toute l’Afrique du néocolonialisme et du sous-développement. Le RHDP lui, ambitionne tout modestement, de construire une Côte d’Ivoire moderne dans la paix et l’union, afin que tous les enfants du pays puissent se réaliser selon leurs désirs et leurs aptitudes. Gbagbo a aussi demandé la libération d’un certain nombre de prisonniers, parce que ça ne fait bien d’arrêter des personnes dans un pays. Pendant qu’on y est, pourquoi ne demande-t-il pas que l’on ferme toutes les prisons du pays ? Il a précisé que lorsqu’il était président, il n’a arrêté aucun homme politique. Lui, il se contentait d’insulter ceux qui l’insultaient. Et d’ignorer ceux qui menaçaient son pouvoir. On a vu la suite. Entre arrêter des personnes qui ont commis des délits ou menacent la sécurité du pays pour les faire juger, et violer ou tuer des manifestants ou de simples individus, comme le docteur Benoît Dacoury-Tabley ou le comédien Camara « H » ainsi que beaucoup d’autres, comme on l’a vu durant tout le règne de Laurent Gbagbo, les Ivoiriens savent ce qui est mieux. Il a encore une fois dit que c’est lui qui a donné des ordres aux militaires, et que par conséquent, si lui est libre, ces militaires devraient l’être aussi. Il oublie ou feint d’oublier que lorsqu’un militaire obéit à un ordre illégal ou illégitime, il est personnellement tenu responsable de son acte. En clair, si votre chef vous ordonne d’aller tuer un individu quelconque, Robert Guéï et sa femme par exemple, et que vous le faites, vous serez jugé pour ce crime. Enfin, il a pensé aux jeunes. Il a promis… qu’il organisera bientôt une grande rencontre avec eux. C’est très fort ça, comme action en faveur des jeunes !Terminons en citant le célèbre philosophe Blé Goudé de Guibéroua, qui a dit récemment lors d’un meeting dans un village de sa région :« le chimpanzé fait beaucoup de bruit dans la brousse, mais ce qu’il oublie, c’est qu’il attire le regard du chasseur sur lui. »

Houphouët-Boigny et ses héritiers

Le mercredi 7 décembre dernier marquait le vingt-neuvième anniversaire du décès du premier président de la Côte d’Ivoire indépendante, Félix Houphouët-Boigny. Ceux qui se sentent proches ou qui se réclament de son héritage se sont souvenus de lui et ont commémoré cet anniversaire chacun à sa manière. Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti du président Alassane Ouattara, qui, rappelons-le, fut l’unique Premier ministre d’Houphouët-Boigny avant de diriger le pays aujourd’hui, avait organisé un panel de haut niveau au Palais de la Culture sur « l’houphouétisme », auquel il me fut donné de participer en tant que modérateur. Les panélistes étaient le président du Sénat, M. Jeannot Ahoussou-Kouadio, la ministre d’Etat Kandia Camara, le ministre d’Etat Kobena Kouassi Adjoumani, l’ancien ministre d’Houphouët-Boigny Ehui Bernard, et l’historien et membre du bureau politique du PDCI, Tiacoh Carnot. Il y eut aussi l’intervention du ministre-gouverneur de Yamoussoukro Augustin Thiam, descendant d’Houphouët-Boigny. Les différents orateurs ont parlé de la vie d’Houphouët-Boigny, de son parcours politique, de ses réalisations, de l’essence de ce que l’on appelle « l’houphouétisme », et surtout de son héritage, qui, pour beaucoup d’intervenants, est dignement assuré par le Président Alassane Ouattara.

Il y avait dans le public de nombreux étudiants dont aucun, vraisemblablement, n’a connu celui dont il était question. Les Ivoiriens qui ont 29 ans aujourd’hui venaient peut-être de naître lorsque Houphouët-Boigny mourait. Ceux qui ont 39 ans aujourd’hui en avaient à peine dix. Or la majorité de la population ivoirienne a moins de quarante ans. C’est vous dire que dans la salle du Palais de la Culture où se tenait le panel, une bonne partie du public ne savait pas de quoi on parlait. Peut-être même que certains ne visualisaient même pas l’image de l’homme en question. Parce qu’il y a vraiment peu d’images de notre premier président dans notre paysage et dans nos médias. On voit beaucoup plus, sur les gbakas et dans les rues, les images de certains escrocs estampillés pasteurs et des faiseurs de bruit baptisés chanteurs, faute de mieux, que celles de notre illustre « père de la nation ». Ce n’est pas la première fois que j’évoque ce sujet dans ces colonnes, mais c’est ma marotte, et je n’y peux rien. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec l’Afrique du sud et son Nelson Mandela. On ne compte plus les musées qui lui sont consacrés, les lieux où il vécut qui sont presque sacralisés, et le nombre de statues de lui, parfois vraiment géantes et très originales.
Vingt-neuf ans après son décès, nous sommes fiers de dire que tout le monde a été, est, ou sera houphouétiste. Mais où sont les traces de ce grand homme ? Où est-ce que ceux des jeunes gens qui suivaient le panel du 7 décembre qui auraient eu envie d’en savoir un peu plus sur l’homme et son œuvre auraient pu aller ? Chaque fois que la question est posée, tous les regards se tournent vers l’Etat. Mais c’est une question qui est adressée à tous les Ivoiriens, à commencer par sa famille biologique dont on ne peut pas vraiment dire qu’elle manque de moyens, sa famille régionale, c’est-à-dire les habitants de Yamoussoukro où il vécut et est enterré, sa, ou ses familles politiques qui se battent pour se proclamer plus digne héritier, et l’ensemble des Ivoiriens dont il fut le premier président, celui qui proclama l’indépendance de leur pays et en fit un pays très envié. Qu’est-ce qui empêche la famille d’Houphouët-Boigny ou la mairie de Yamoussoukro de mettre une pancarte juste à l’entrée de la ville pour dire que c’est la ville natale du premier président de notre pays ? Qu’est-ce qui empêche la famille et la mairie de mettre une pancarte pour indiquer la maison où il vécut et où se trouve sa tombe ? Qu’est-ce qui empêche des artistes ivoiriens de réaliser des œuvres pour magnifier cet homme ? Que fait-on pour préserver les maisons où il a vécu ? Au Ghana, Kwame Nkrumah qui régna pendant peu de temps avant d’être renversé par un coup d’Etat a son mausolée et son musée. Houphouët-Boigny n’a pas fait que libérer la Côte d’Ivoire. Il a mis fin aux « travaux forcés », libérant ainsi toute l’Afrique de cet esclavage. N’importe où dans le monde, un tel homme aurait eu son musée depuis longtemps.
Il y a quelques jours, l’ancien ministre Joël N’guessan avait publié un article dans lequel il disait qu’il avait honte de ce que nous avions fait de l’héritage d’Houphouët-Boigny.
Moi aussi j’ai honte.
