TRIBIMES : Dernier virage pour trois démocrates des tropiques.
Côte d’Ivoire
Dernier virage pour trois démocrates des tropiques.
Quel que soit le vainqueur de la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire, 2020 sonne la fin du spectacle pour trois hommes qui, pendant près de 3 décennies, ont littéralement pris en otage tout un pays et son peuple, qu’ils ont manipulé jusqu’au délire.
Trois hommes dont la parole et contre-parole, les calculs et contre calculs, les pirouettes et contre-pirouettes, ont entraîné tout un pays, dans la tourmente avec plusieurs milliers de morts.
Jugez en vous même.
“Je souhaite que Ouattara se présente à l’élection présidentielle. Je porterai plainte contre celui qui dit que Ouattara n’est pas ivoirien et n’est pas éligible”. Laurent Gbagbo, en 1995, bras dessous, bras dessus avec Ouattara.
“On ne veut pas que je sois candidat parce que je suis musulman et du nord”. Alassane Ouattara.
“Je frapperai ce pouvoir moribond du PDCI et il tombera”. Alassane Ouattara.
La suite ? Boycot actif, marches et chute de Bédié, le 24 décembre 1999.
“Il y a des coups d’Etat salutaires qui font avancer la démocratie”. Parole Laurent Gabgbo, triomphant.
“Il ne s’agit pas d’un coup d’Etat, c’est une révolution des œillets”. Parole d’Alassane Ouattara, prenant un bain de foule.
Et leurs futurs “bons petits” de s’y mettre.
“Nous saluons la chute de la dictature fascisante de Bédié”. Soro Guillaume.
“Il y a des violences redemptrices”, acclame Blé Goude, pour justifier le coup d’Etat.
Il faut dire que Bédié, en grand démocrate, n’avait aucune oreille sous son mandat, pour quelque revendication que ce soit, venant de son opposition.
“Le bulletin unique”? Rejeté.
“Le vote à 18 ans”? Rejeté.
“Les urnes transparentes”? Rejeté.
“La mise en place d’une CEI”? Rejeté et l’élection présidentielle confiée au ministère de l’intérieur.
“Un nouveau découpage électoral”? Rejeté.
La suite ? Guei Robert s’empare du pouvoir et se lie d’amitié avec Gbagbo dans son projet de rédaction d’une nouvelle constitution pour annuler les articles exclusionnistes y glissés par Bédié. Mais la nouvelle constitution se transforme en un document contre Bédié et Ouattara.
“Je suis choqué que quelqu’un qui a été vice-gouverneur de la Bceao et fonctionnaire international pour le compte du Burkina Faso, veuille être candidat en Côte d’Ivoire “, Laurent Gbagbo, en 2000.
Sur la base de la nouvelle constitution truffée de notions farfelues, Bédié et Ouattara se retrouvent hors course de la présidentielle de 2000, d’où sort vainqueur, Laurent Gbagbo, dans un bain de sang. “J’ai été élu dans des conditions calamiteuses”, reconnaîtra Gbagbo, plus tard.
Il organise une foire d’hypocrisie appelée le “forum de réconciliation nationale”. Les résolutions qui en sortent, notamment, “retirer de la Constitution les articles confligenes,” reconnaître à Ouattara, sa nationalité ivoirienne”, sont piétinées par Laurent Gbagbo et jetées à la poubelle.
“La constitution a été prise pour régler trois problèmes, dont celui de Ouattara… “avouera Laurent Gbagbo. Cinq ans plus tôt, au moment de combattre le “dictateur Bédié “, il affirmait autre chose au sujet du même Ouattara.
Aucune suite n’est donnée aux recommandations du forum. Quand Ouattara se fait délivrer un certificat de nationalité, cela vaut une adresse à la nation, de Gbagbo, qui déclare : “Ce certificat de nationalité n’est valable que pendant trois mois*. Traduction : dans trois mois, Ouattara redeviendra de nouveau étranger. Acclamations de ses partisans.
“Gbagbo est un boulanger, un homme sans parole, qui dit oui le matin et non, la nuit. Il passe son temps à rouler les autres dans la farine. Mais un jour, ses narines seront bouchées par sa propre farine”, déclarera Guei Robert, en colère, quelques jours avant son assassinat.
En septembre 2002, celui qui a salué “la chute de la dictature fascisante de Bédié “, Guillaume Soro, tente de renverser le “père “ des “coups d’Etat qui font avancer la démocratie”.
Dans la foulée, Guei Robert qui, selon le premier ministre Affi Nguessan, a été tué au combat, est retrouvé en pyjama sur la corniche, le corps truffé de balles.
On apprendra plus tard que Guei, vait plutôt été extrait de la cathédrale du plateau où il avait trouvé refuge et exécuté par un commando, de même que son épouse er son aide de camp.
Après la tentative de coup d’état, réaction scandalisée de Laurent Gbagbo ne se fait pas attendre : “Ce n’est pas par les armes qu’on prend le pouvoir”.
Blé Goude, le concepteur du coup d’Etat qui est une “violence redemptrice”, est aussi scandalisé.
Dieu, qui “se rit de ceux qui condamnent les conséquences des causes qu’ils cherissent”, selon Bossuet, a dû beaucoup rire devant ces propos et attitudes .
Ouattara et Bédié, gardent le silence devant la tentative de prise du pouvoir par les armes, laquelle se transforme en une rébellion qui divise le pays en deux.
Plus tard, alors que leur haine commune pour Gbagbo les avait aidé à se réconcilier, Bédié et Ouattara forment le RHDP.
Dans les colonnes de “Jeune Afrique”, Bédié règle ses comptes avec Gbagbo :”Gbagbo a salué la prise du pouvoir par les armes. Maintenant qu’il en est lui-même victime, j’espère qu’il apprécie mieux le sens de ses propos”.
À la suite de l’élection de 2010, la CEI déclare, dans la confusion générale, Alassane Ouattara, vainqueur.
Moins de 24 heures plus tard, après avoir effacé plus de 600 mille voix attribuées à Ouattara, Yao N’dre, sous l’empire du diable, selon son propre mot, déclare Gbagbo, vainqueur.
Suivra une crise post électorale de près de 5 mois qui fera plus de 3000 morts et des dizaines de milliers de réfugiés hors du pays.
“Aucune loi en Côte d’Ivoire ne permettait à Yao N’dre, d’agir comme il a agi”, avouera Mamadou Koulibaly, numéro 2 du régime, devant des pro – Gbagbo stupéfaits et en colère, à Paris.
Selon Mamadou Koulibaly, ses camarades, devant sa désapprobation, lui auraient dit que “Mugabe faisait pareil au Zimbabwe et qu’il ne se passait rien”.
Ce seul aveu du numéro 2 du régime FPI, suffisait pour que jamais les Ivoiriens ne pardonnent à ce parti, les milliers de morts.
Le régime de Gbagbo chute violemment et Ouattara et Bédié s’emparent du pouvoir.
Bédié, digerant mal le coup d’Etat, convainc Ouattara de livrer Gbagbo à la CPI, via Ahoussou Jeannot, chargé de monter le dossier.
Hop ! Gbagbo se retrouve hors du pays, a la grande joie de Bédié : “En raison de ses nombreux crimes, Gbagbo n’échappera pas à la justice”. Jubile Bédié, sur les antennes de “France 24”.
En 2016, après avoir soutenu un 2e mandat pour Ouattara, Bédié obtient de ce dernier, la rédaction d’une nouvelle constitution, essentiellement pour maquiller l’enlèvement du verrou de la limite d’âge à 75 ans, afin de lui permettre de prendre sa revanche sur l’histoire et sur Gbagbo, en redevenant, avec le soutien du RHDP, le dernier président de la Côte d’Ivoire, avant le passage du flambeau.
Ouattara accède à cette volonté mais il en profite pour y glisser des subtilités dont il entend profiter suivant les circonstances.
Pour faire passer la pilule et surtout pour berner Bédié, il instruit ses juristes maison dont le ministre de la justice, d’utiliser des éléments de langage qui pourraient endormir Bédié. Lequel, trop content de l’enlèvement du verrou de 75 ans, se laisse effectivement endormir.
La suite, on la connaît et revoilà de nouveau, le débat sur l’éligibilité de Ouattara, ironie du sort, avec pointe de combat, le même Bédié qui retrouve ses réflexes de 1993 à 1999.
Ivoiriens, Ivoiriennes. Quelqu’un a écrit que “Seul Ouattara peut arrêter Ouattara”. Il avait raison.
À ce jour et depuis 2000, il n’est plus possible, pour un Ivoirien lucide, de faire confiance aux soit disant experts en droit en Côte d’Ivoire.
Aucun n’est honnête et crédible. Ce sont tous des politiciens.
La vérité est qu’il faut une autre constitution pour une 4e république, une constitution, enfin pour les Ivoiriens et la Côte d’Ivoire.
Une constitution dans laquelle il n’y aura aucun arrangement, aucune malice et sur la base de laquelle personne n’osera aller au-delà de ce qui est écrit.
Il y sera clairement écrit, en des formules que même un enfant de 10 ans comprendrait, que nul ne peut passer plus de dix ans à la tête de la Côte d’Ivoire, quelles que soient son intelligence et sa contribution au développement du pays, quels que soient les changements qui interviendraient.
Car, si Ouattara veut être candidat il le sera sur la base de cette constitution au contenu malicieux, sauf à trouver des Ivoiriens encore suffisamment manipulables et prêts à mourir pour des politiciens qui ont leur avenir derrière eux.
Prendre part au débat sur l’éligibilité ou non de Ouattara est parfaitement inutile. Ce qu’il y a de vrai, c’est que cette affaire pourrait conduire à de nombreux morts encore et que si Ouattara n’est plus président en raison d’éventuels troubles liés à son éventuelle candidature , ni Bédié, ni Gbagbo, ne pourraient revenir au pouvoir dans une quelconque transition qui pourrait durer plus de trois ans après des violences meurtrières dans tout le pays. Chacun peut prendre le pari.
Car en réalité, tout est faux et tout ce qui est dit par les uns et les autres, est corrompu par la recherche du pouvoir.
Voilà Gbagbo qui veut être candidat alors que s’il n’y avait pas cette nouvelle constitution, celle de 2000 dont il est le vrai père et qui a éliminé Ouattara et Bédié, fixe la limite à 75 ans. Donc Lui-même qui disait qu’on “ne peut être candidat au-delà de 75 ans”, n’aurait plus cette envie qu’il a aujourd’hui, de redevenir président.
Ce qui veut dire que si Gbagbo avait gagné en 2010, il serait encore au pouvoir aujourd’hui.
C’est que beaucoup d’Ivoiriens ne le savent pas, mais le FPI avait rédigé, en pleine crise post électorale, un projet de constitution dans lequel il n’y avait aucune limitation de mandats présidentiels. Gbagbo, sur la base de ce projet de constitution, rester président à vie.
Ce projet a été boycotté par Mamadou Koulibaly qui, à l’époque, avait claqué la porte d’une réunion sur cette nouvelle constitution anti democratique du FPI qui, heureusement, n’a pas vu le jour.
Voilà Bédié qui est candidat, six ans au-delà de l’âge limite qu’il avait lui-même fixé pour quitter définitivement le pouvoir, s’il avait été élu en 2010.
Ce qui signifie que jamais, Bédié n’a entrevu son absence du pouvoir, de son vivant.
Voilà Ouattara qui dit que la nouvelle constitution lui permet de faire deux autres mandats, il l’a clairement affirmé .
Il a pris l’engagement, cependant, de partir…Mais celui qu’il a désigné est mort et le voilà pris dans l’étau entre son engagement et la volonté de préserver la cohésion de son parti devant un Bédié qui revient et qui l’appelle à “respecter sa parole”.
Les Ivoiriens lucides qui ont pris le temps d’observer le jeu macabre des politiciens depuis 1993, savent que Ouattara, jamais, ne laissera le pouvoir tant qu’il y a le risque que Bédié ou Gbagbo s’y installe de nouveau. Ce qui vaut aussi pour Bédié et Gbagbo.
Ces trois là, jamais, de leur vivant, ne laisseront le pouvoir à l’un d’entre eux, pour qu’il boucle la boucle, tant qu’ils ont encore la force de se battre avec le soutien de leurs partisans.
Bédié, Gbagbo et Ouattara, trois démocrates des tropiques, cherchent à fqire leur dernier combat, en 2020. Tous les ingrédients sont là, qui l’attestent. Leurs partisans en redemandent. Ils veulent du sang et des morts, encore.
Sauf que ce pays n’a plus de ressources morales pour supporter une autre déflagration liées aux compromissions des trois “petits”.
Zouzouo Jean Baptiste .
Juriste, citoyen ivoirien.