LETTRE OUVERTE À ALASSANE OUATTARA POUR EXIGER LE RETOUR DE L’ÉTAT DE DROIT ET LA LIBÉRATION DES PRISONNIERS D’OPINIONS EN CÔTE D’IVOIRE
Par : Jules Brou , Citoyen Ivoirien, Consultant en Stratégie Digitale
« J’ai encore le souvenir de notre seconde rencontre , une rencontre avec Alassane Ouattara Président , me serrant chaleureusement la main tout en me fixant d’un regard rassurant , vous disiez avec un air cool ce 25 mai 2011 « l’avenir de la Côte d’Ivoire , c’est vous , la jeunesse ! Aujourd’hui , Mr le président , cet avenir ; vous le mettez en péril … »
Paris, le 25 mai 2020

Monsieur le Président,
Je suis un militant , un humaniste engagé pour la paix et la démocratie dans mon pays la Côte d’Ivoire ,avec le collectif que je dirige composé des anciens membres et responsables d’associations et d’Organisations Non Gouvernementales, toutes appartenant à des horizons politiques et philosophiques différents .
Le début de ce 21e siècle fut pour beaucoup d’entre nous le début d’un engagement aux côtés de votre formation politique actuelle ( le RHDP) . Après la crise identitaire qu’a connue notre pays de 1995 à l’an 2000 , nous avons poursuivi notre soutien durant la crise politico-militaire qui débutait en 2002 , que le climat socio politique et les divergences politiques nous ont imposés jusqu’à perturber le fonctionnement de l’état , le plonger dans une division ethno-régional, allant jusqu’à faire perdre les valeurs sacrées de l’union entre Ivoiriens . Valeurs d’autrefois , que nous regrettons aujourd’hui .
Durant toute cette période, sur le terrain et à vos côtés, beaucoup se sont engagés contre l’exclusion , pour le respect de leur droit de citoyen Ivoirien à part entière, pour l’égalité des chances , certains au prix de leur vie, d’autres en allant jusqu’à mener une rébellion armée pour la défense des valeurs qu’ils jugeaient républicaines , des valeurs dont vous étiez le symbole . C’est l’époque où vos ennemis, scandaient « Jamais ! Le burkinabé dramane Ouattara , ne sera président en Côte d’Ivoire . »
Grâce à une lutte , un combat mené par des Ivoiriens, vous avez pu un jour acquérir la pleine citoyenneté et vous présenter à une élection présidentielle après tant d’obstacles et des années d’exil …Après le coup d’état de décembre 1999 , la rébellion armée de septembre 2002 puis la crise post électorale d’octobre 2010 à avril 2011 , qui par la suite vous conduira au pouvoir grâce à une alliance politique avec un ennemi d’entre- temps devenu grand allié ; le président « Henri Konan Bédié » et le soutien des forces républicaines dirigé par le premier ministre « Guillaume Soro » pour ne citer que ces deux illustres personnalités qui ont contribué de façon concrète à votre arrivée à la tête de notre nation . Puis votre réélection en 2015 toujours appuyée par vos grands alliés et bien entendu avec le soutien des militants du rhdp et de la population acquise à la cause de cette formation politique . Tous ce temps nous sommes restés solidaires de la population meurtrie, via des projets, de réconciliation , de reconstruction, de vivre ensemble dans lesquels nous nous sommes vaguement impliqués.
Nous constatons que vous avez tourné le dos aux idéaux , d’intégrité , d’exigence démocratique , anti exclusionisme qui animaient votre lutte des années 95-2011 pour lesquels nous vous avions soutenu par le passé.Nous avons accompagné votre lutte pour restaurer ces idéaux . En octobre 2015, la victoire électorale du RHDP, dans un tout nouveau contexte, fut pour beaucoup d’entre nous l’élan d’un nouvel espoir , mais hélas …Nos avis sur la politique menée pendant les deux dernières décennies ont souvent été divers, prenant pour exemple notre volonté de libération des prisonniers issues de la crise post électoral de 2010 qui a toujours trouvé la sourde oreille .
Mais depuis 2017, et le déclenchement de la politique de la répression , de la terreur et des condamnations contre tous ceux qui s’opposent aux décisions unilatérales du clan Ouattara , nous sommes consternés . Nous ne reconnaissons plus la Côte d’Ivoire que nous avions connu, celle pour laquelle nous avons consacré temps et énergie et nous ne comprenons pas les raisons d’un tel revirement politique.
Si au nom de mes camarades de lutte et en mon nom propre je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est parce que nous sommes révoltés. Nous ne pouvons que constater que vous ayez tourné le dos aux idéaux qui incarnaient votre lutte dans l’opposition et aux accords politiques vous ayant permis d’accéder à la magistrature suprême pour lesquels nous vous avions soutenu par le passé.Vous avez rompu le dialogue politique avec tous vos alliés d’autres fois ( Henri Konan Bedié , Guillaume Soro , Francis Wodié , Anaky Kobenan , Mabri Toikeuse) , mais aussi avec toute l’opposition Ivoirienne. Lors d’un dialogue par procuration avec votre premier ministre autour de l’organisation des prochaines échéances électorales, vous avez opté pour une Commission électorale dite indépendante pour la forme mais composée dans le fond de vos tribuns, creusant ainsi le fossé.Comment un homme, un haut fonctionnaire du FMI connu pour son parcours de technocrate , qui incarnait autrefois cette droiture d’esprit , ce modèle de réussite africaine , qui a passé des années dans l’opposition , en exil , qui a vu ses proches subir le joug du pouvoir d’Abidjan , ses partisans dans les geôles , et qui portait en lui les valeurs de la démocratie, de l’inclusion , du dialogue politique de la justice sociale et de la liberté,peut-il ainsi se détourner du peuple qui les réclame aujourd’hui ? Mr le Président , Dois je vous rappeler vos pensées profondes ce 1er février 2001 lorsque vous avez appris l’arrestation de Jean-Jacques Bechio depuis votre exil parisien . Mr le président doit-on peut-être vous faire un devoir de mémoire en citant quelques noms tels que Charles Josselin et Hubert Védrine , en espérant que vous vous rendiez compte de la situation vers laquelle vous êtes entrain de mener le navire Ivoire après tant d’années de lutte.
Comme beaucoup d’autres, nous avions placé notre confiance en vous. A présent, comment expliquer les raisons qui vous poussent à marcher sur les traces de vos ennemis d’hier ? Comment expliquer, alors que nous entendons les cris de ceux qui dénoncent l’instrumentalisation de la justice à des fins d’écarter des candidatures à une élection présidentielle , la monopolisation des médias par votre formation politique , la violation des droits humains et des libertés fondamentales, vous-même, autrefois si proche de cette situation que vit le peuple , ne semblez pas les entendre ?
Plusieurs personnes ont été assassinées par des milices qui ne sont ni poursuivies, ni mis hors d’état de nuire. Des leaders de toutes les grandes formations politiques de Côte d’Ivoire pressentis pour être des candidats sérieux sont contraints à l’exil , privés de leurs droits civiques . Une cinquantaine de personnes, principalement des députés , des diplomates et des hauts fonctionnaires, ont été incarcérés, sans aucun respect des garanties constitutionnelles et des procédures judiciaires, au motif de « tentative de déstabilisations », pour la plupart des faits requalifiés pour « diffusion de fausses rumeurs » . Tout ceci pour avoir manifesté leur désaccord avec votre politique.Parmi eux, un ressortissant américain, Soro Simon , frère cadet du candidat déclaré à l’élection présidentielle , Guillaume Soro , lui-même contraint à l’exil et condamné par contumace pour des faits de recels ,lors d’un procès politique à 20 ans de prison tout récemment . Guillaume Soro qui s’est engagé corps et âme , pour une cause commune et qui est même allé jusqu’à dirigé une rébellion armée pour défendre les idéaux dont vous vous réclamez dans les années 2000 .
A des seuls fins d’empêcher Mr Soro d’être candidat à une élection présidentielle et donc de conserver le pouvoir d’état par tous les moyens , vous avez refusé d’exécuter une ordonnance d’une instance judiciaire internationale en l’occurrence la cour africaine des droits de l’homme . Vous avez alors violé la constitution de 2016 en son article 123 , allant jusqu’à retirer l’etat de Côte d’Ivoire du protocole de la cour africaine, ternissant l’image de notre jeune démocratie auprès d’institutions internationales . Tout ceci en pleine sortie d’une crise sanitaire mondiale .
La vérité nous oblige à dire que nous reconnaissons aujourd’hui le combat de Guillaume Soro comme proche de celui que nous menions à l’époque contre l’absence de dialogue politique , le clanisme , la répression. Un combat qui aujourd’hui s’étend à une lutte contre vos remparts capitalistes et votre caporalisation du pouvoir économique. Un combat qui, aujourd’hui s’ouvre à celui de nos adversaires d’autres fois, qui avec le temps sont devenus nos frères d’une même lutte « Sauver la Côte d’Ivoire » et avec qui nous partageons désormais une vision pour la Côte d’Ivoire de demain , celle d’un « après Ouattara » .
Au nom de cette lutte que nous avons menée à vos côtés, nous vous en conjurons de revenir aux idéaux démocratiques et à des valeurs républicaines . L’histoire de la Côte d’Ivoire étant récente , elle nous enseigne que l’exclusion , le manque de dialogue politique et la répression conduit inévitablement à une succession de crise pouvant entraîner un champ de ruine et des dommages sans précédent . Nous pouvons éviter de revivre ce cycle d’instabilité politique répétée .Par respect pour votre parcours de lutte, au nom de la solidarité que nous vous avions témoignée avec force et vigueur autrefois, nous vous lançons cet appel solennel pour que vous œuvriez en faveur d’une sortie de crise conforme au respect de l’État de droit issu de la Loi fondamentale , des droits humains et des libertés fondamentales.
Dans ce cadre, au nom de tout ce qui nous a unis et que nous vous avons rappelé ci-dessus, nous vous demandons d’intervenir pour ordonner la remise en liberté immédiate de tous les députés incarcérés , de tous les prisonniers d’opinions , comme pour toutes les autres personnes incarcérées sans fondement et sans respect de procédures de la défense. Nous exigeons, pour celles qui sont poursuivies pour des raisons purement politique voir électoralistes, un abandon des poursuites ; nous attendons de vous , que vous preniez vos dispositions en collaboration avec une justice ivoirienne plus impartiale pour annuler, les condamnations arbitraires , les mandats d’arrêts , et toutes autres procédures judiciaires visant les leaders de l’opposition afin que , à l’instar de Mr Guillaume Soro , Président de Générations et Peuples Solidaires , tout autres citoyens puisses se sentir libre d’être candidat à une quelconque élection à venir sans pour autant subir un acharnement du pouvoir actuel .
Dans l’espoir d’être lu , entendu et compris, je vous adresse Monsieur le Président, nos salutations . Nous sommes dans l’attente de votre réponse.
Jules Brou